APLOGIE
CVRIEVSE
POVR LES IVSTES PROCEDVRES
DV PARLEMENT
DE PARIS
Iuſques au iour de la Conference.
Et pour ſeruir de ſuppléement aux Motifs veritables.
A PARIS,
Chez CARDIN BESONGNE, ruë
d'Eſcoſſe, prés S.Hilaire,
M. DC. XLIX.
AVEC PERMISSION.
APLOGIE CVRIEVSE
POVR LES IVSTES PROCEDVRES
du Parlement de Paris,
Iuſques au iour de la Conference.
Et pour ſeruir de ſuppléement aux Motifs veritables.
L'Experience nous apprend qu'il n'y a preſque
point de domination legitime de peu d'étenduë qui
n'ait quelque forme de conſeil, où le Prince fait
propoſer les plus importantes affaires qu'il veut
eſtre reſoluëſ; Et pour en parler comme il faut, il
eſt beſoin d'examiner s'il eſt expedient que le Prince, outre ſes
Miniſtres particuliers & Officiers ordinaires, ait quelques Mi-
niſtres plus ſpecieux auec leſquels il communique plus parti-
culierement de ſes plus grandes affaires.
Il y en a qui ſouſtiennent que les Conſeils particuliers appro-
chent plus de la domination violente, laquelle eſtant odieuſe
& ſuſpecte à tous en ſe communiquant à tout le monde, que
de l'adminiſtration legitime, laquelle n'ayant point de ſuiet
de ſe deffier de ceux qui luy ſont aſſeruis & à qui elle comman-
de ſelon les loix, ſe communique plus librement: meſmes en af-
faires generales & auſquelles tout l'Eſtat eſt intereſſé.
Là deſſus on dira, que nos Roys ont eſtably & entretenu des
Compagnies celebres compoſées de perſonnes les plus ſenſées
& plus qualifiées d'entre leurs Suiets, qu'ils ont appellez Senats
ou Parlemens, qui eſtoient proprement dans les premieres
races de la Maiſon de France. Les Conſeils d'Eſtat, ſans leſ-
quels les Roys ne reſoudoient d'aucunes affaires, concernants
l'intereſt de la paix ou de la guerre, auſſi eſtans preſque toû-
jours prés leur perſonnes, on les appelloit du nom de Parle-
L'on ſçait qu'outre ces legitimes Conſeillers d'Eſtat qui
compoſoient cét Auguſte Senat, il y a eu des vſurpateurs qui
ſe ſont laiſſez aller à la violence, & ont ruiné toutes ces illuſtres
Compagnies, ou du moins les ont tellement affoiblies qu'elles
eſtoient demeurées preſque inutiles.
C'eſt ce que firent les trente Tyrans d'Athenes, & les dix de
Rome, aprés s'eſtre ſaiſis de l'Eſtat, & l'auoir changé en vne
Olygarchie treſ-inſolente, & auparauant ces derniers, Tar-
quin le Superbe, aprés auoir changé le gouuernement legiti-
me de ſes predeceſſeurs en vne domination tyrannique & in-
ſupportable.
D'auantage, il eſt plus aiſé de calomnier les actions d'vn
Prince qui conduit ſes affaires par le conſeil & miniſtere de peu
de gens & de quelques Officiers particulierſ; que celuy qui eſt
gouuerné par les auis & reſolutions d'vn Conſeil celebre, ap-
prouué & compoſé des plus grands, des plus ſages & experi-
mentez de ſon Eſtat.
On adiouſte à cela, que les affaires eſtant entre les mains de
peu de perſonnes, il ſera plus facile à vn Prince Eſtranger ou à
vn autre, qui aura des deſſeins contre l'Eſtat, de le trauerſer,
que ſi elles eſtoient entre les mains d'vne Compagnie de Con-
ſeillers compoſez de gens de bien; eſtant beaucoup plus aiſé
de pratiquer & corrompre vn petit nombre d'hommes que
tout vn grand Corps.
Outre cela, il eſt difficile de faire choix particulier de quel-
ques vns pour leur confier ce que le Prince eſtime de plus grãd
poids, ſans en mécontenter infinis autreſ; & en ce faiſant iet-
ter des ſemence de troubles, & quelquefois de ſoufleuement.
Car ce Conſeil eſtroit ne peut eſtre compoſé que de peu de
perſonnes, c'eſt à dire du Prince ou de quatre ou cinq Mini-
ſtreſ; car s'il y en a vn plus grand nombre, ce ne ſera plus vn
Conſeil eſtroir.
Or
Or dans vn grand Eſtat, tel qu'eſt celuy de la France, il y a
pluſieurs Grands & encores de grandes Compagnies reſtablies
de longue main, & qui par leur eſtabliſſement ont part en l'ad-
miniſtration des grandes affaireſ: Que ſi on reduit & reſtraint
le maniement de telles affaires principalles à peu de perſonnes,
on mécontentera tout ce grand Corps de l'Eſtat, & expoſe-
ra-t'on le Conſeil eſtroit à l'enuie de toute cette Compagnie,
d'où peuuent naiſtre infinis inconueniens. Car ceux qui font
dans les affaires, ſe veulent maintenir en dépit de tous ceux
qui le trouuent mauuais, pour cet effet ils cabalent enſemble
& au lieu de penſer aux affaires de leur maiſtre & du public, ils
tournent toutes leurs penſées à ce qu'ils croient pouuoir ſer-
uir à leur conſeruation, s'imaginant que tout le monde leur
eſt ennemy: Ils commencent auſſi de leur part à hayr tout le
monde, notamment ceux qu'ils ſçauent leur nuire, & delà ils
paſſent ſouuent à l'inſolence & à la cruauté.
Que ſi le petit nombre des Miniſtres fait naiſtre ces inconue-
niens, il y a apparence que tant plus on le réduira, tant plus on
ſe reſſentira des incommoditez. Et partant ſi le Prince a quel-
que Miniſtre ſpecial, qui ait pim de part aux affaires & dans la
confiance que les autres, il y a lieu de croire que les inconue-
niens naiſtront beaucoup pluſtoſt & beaucoup plus grands.
Car il ne faut pas douter que les autres Miniſtres ne conçoi-
uent de la ialouſie à l'endroit du premier, & que delà ils n'en-
trent bien-toſt en mauuais ménage, ce qui ne ſe peut faire ſans
que les affaires du Prince en reçoiuent du dommage.
Cela s'eſt veu en France depuis la mort du deffunt Roy
Lovis le Ivste, que Dieu abſolue: Vn eſtranger Sici-
lien Eſpagnoliſé, ignorant aux grandes affaires, ayant eſté tiré
d'Italie & introduit dans le Conſeil du Roy & de noſtre E-
ſtat, par la bonté de la Reyne Regente, & par la tolerance
de nos Princes abuſant de leur bõ naturel, s'eſt rendu ſi abſolu,
qu'il a entierement diſpoſé, tant des perſonncs ſacrées de leurs
Maieſtez, que des Grands du Royaume, que luy ſeul a eſté
adminiſtrateur des affaires de la guerre, des Finances & de tou-
te la France, & n'a ſi toſt eſté fait Miniſtre d'Eſtat, qu'il a fait
prendre le Duc de Beaufort, l'enfermer au bois de Vincennes,
chaſſer le Duc de Vandoſme ſon pere hors de France, éloigner
L'ambition & l'inſatiable conuoitiſe d'vn tel homme a paſ-
ſé iuſqu'à vn telexcez, que par la profuſion qu'il a faite des Fi-
nances du Roy, il a ruiné toute la France, enrichy des Italiens,
& fait paſſer les monts à l'or & l'argent qu'il a tiré par tant de
vexations, impoſts, ſurcharges, monopoles & autres oppreſſiõs,
n'y ayant ſorte de parties qu'il n'ait accepté pour tirer le der-
nier teſton du Royaume, en forte qu'il a rendu la France ſans
commerce, les villes deſolées, le plat pays expoſé, aux vols, aux
larcins & aux cõcuſſions des Partiſans, les Marchands ſans tra-
fic, les armées ruinées faute d'argent & de ſecourſ: & les enne-
mis fortifiez de noſtre miſere dont luy ſeul a profité.
Et pour cõble d'infolẽce il s'eſt voulu prẽdre aux Cours Sou-
ueraines, lors qu'il en a rendu ſemeſtres, pour y auoir des crea-
tures à ſa deuotion, les ayans cõme interdits, il a voulu retran-
cher les gages des Officiers, rendre la Nobleſſe roturiere & ſu-
iette aux tailles, caſſer les priuileges des propres domeſtiques
de la maiſon du Roy, ofter la plus ſeure garde de ſa Majeſté, en
caſſant cette genereuſe & fidelle compagnie de ſes Mouſque-
taires à cheual, pour en mettre d'autres à ſa volonté: compa-
gnie qui auoit eſté choiſie & eſtablie par le defunct Roy, pour
eſtre la plus ſeure de ſa perſonne, & remplir la Cour Royale
d'0fficiers Italiens, & les places meſmes des Officiers des ar-
mées & de la guerre, & renforcer la garde de ſa perſonne de
cent Caualiers, & Fuzeliers, dont il affoibliſſoit celles qui
eſtoient neceſſaires, fait perir les Regimens & Compagnies,
tant de cheual que de pied dans les armées eſtrangeres, faute
d'argent & de viures.
Ce qu'ayant ſceu le Parlement de Paris, que le mal alloit
croiſſant & deuenoit irremediable, ſi de bonne heure on n'y
Le trouble de Paris ne le fit point mettre à la raiſon, car peu
de iours apres ils enleuerent le Roy & Monſieur le Duc d'An-
Le Parlement voyant que le maſque eſtoit leué, & que Ma-
zarin auoit fait venir les Trouppes du Roy qui eſtoient en
Flandres & d'ailleurs, & mis éſenuirons de Paris, pour reduire
par la priſe des Paſſages & des Viures ce grand peuple à la fa-
mine, afin qu'en fuitte cette vrgente neceſſité deuenant extré-
me ſe changeaſt en des tumultes, carnages, volrries, meurtres
& incendies, par ceux auſquels le pain euſt manqué. Ce qui
donna ſujet au Parlement de donner Arreſt contre Mazarin,
le declarant criminel de leze-Majeſte, à luy enjoint de ſortir de
la Cour dans 24. heures, & du Royaume dans huictaine; en
ſuitte dequoy il prit la defenſe de l'Eſtat & gouuernement des
affaires en main pour remedier aux inconueniens qui pourroiẽt
arriuer de là, non ſeulement dans Paris, mais par toute la Fran-
ce. Et afin d'empeſcher le cours d'vne ſi pernicieuſe entrepri-
ſe de ruyner Paris & tout le Royaume, reſolut de prendre les
armes, d'élire des Generaux, des Capitaines & 0fficiers, & de
faire
De là chacun peut iuger de l'imprudence de ce premier Mi-
niſtre & de ceux qui prennent intereſt en l'execution de ſes
mauuais deſſeins, d'auoir voulu ruiner cet Auguſte Senat, le te-
nir pour ſeditieux & de s'entẽdre auec les Ennemis de cet Etat.
Luy qui eſt treſ-intereſſé & porté à ſoutenir les Loix fondamẽ-
tales du Royaume, à faire valoir l'authorité du Roy, & à cha-
ſtier ceux, qui comme criminels de leze-Majeſté y auroient la
moindre intelligence auec nos Ennemis, comme il a aſſez fait
paroiſtre en la punition de mort d'vn Conneſtable de France,
d'vn Sur-intendant des Finances. des Mairargues, des Lihoſtes &
autres Officiers de la Couronne qui auoient coniuré auec l'e-
ſtranger la ruyne de l'Eſtat.
Mauuais conſeil de vouloir faire perir les plus courageux
& fideles Officiers de cet illuſtre Parlement, pour s'eſtre auec
toute forte d'integrité portez à la deffenſe de la iuſtice, au ſerui-
ce du Roi & au ſoulagement du public, & preſcrit ainſi qu'ils les
auoient aduertis d'vne telle coniuratiõ: veu que l'Hiſtoire ſçait
les grands biens qu'il a faits à l'accroiſſement de cet Eſtat &
ſplendeur de cette Couronne.
Que c'eſt le Parlement de Paris qui a fait perdre à l'Anglois
la Souueraineté qu'il pretendoit auoir de la Guyenne, en le
condamnant de pur crime de felonie.
Qui a maintenu la Loy Salique contre l'imprudente Decla-
ration du Roy Charles VI. qui adiugeoit la Couronne de Fran-
ce aux Anglois.
Qui a declaré nulle la ceſſion que le Roy François premier fit
à l'Empereur Charles V. qui le tenoit priſonnier à Madrit, de la
Duché de Bourgongne, aux droits de la maiſon d'Orleans ſur
le Duché de Milan & au Royaume de Naples & de Sicile, &
rompu, les choſes illicites à quoy il s'eſtoit obligé pour ſa deli-
urance.
C'eſt le Parlement de Paris qui a reüny la Duché de Bar au
Roy ſur le Duc Charles de Lorraine à faute de foy & hõmage.
Qui a reſiſté aux Papes ennemis de la France, comme à Iules,
II. qui approuua l'vſurpation de la Couronne de Nauarre faite
Qui a chaſtié les Legats du ſainct Siege qui venoient fulmi-
ner des Interdits contre la France, comme celuy du Pape Boni-
face ſous le regne du Roy Philippes le Bel.
C'eſt le Parlement de Paris qui a puiſamment deffendu les
droicts de l'Egliſe Gallicane contre aucuns du Concile de
Trente qui les vouloient ſupprimer.
Sous le regne du Roy Henry le Grand & dans le temps de la
Ligue, le Roy d'Eſpagne fit propoſer le mariage de l'Infante
Eiizabeth ſa fille auec vn Prince de la Maiſon de Lorraine, à
condition que ce Prince ſeroit reconnu Roy de France. Le Par-
lement de Paris ſe roidit courageuſement contre cette propo-
ſition, & par vn Arreſt ſolennel la rejeta, auec deffenſe à qui
que ce ſoit d'y entendre, comme tendante à oſter la Couronne
au vray heritier d'icelle & s'emparer ainſi du Royaume.
Apres tant de preuues ſignalées de la fidelité du Parle-
ment de Paris, & de leurs iuſtes procedures pour la con-
ſeruation des droicts de cette Couronne, & chaſtimens exem-
plaires faits en execution de leurs Arreſts contre les traiſtres
à l'Eſtat, & qui auoient intelligence auec les Ennemis de
la France, & tramé dans leurs conſpirations. qui ſera ſi
oſé de mettre en auant, comme on a fait, de publier que
dans cette llluſtre Compagnie il y en auoit qui conni-
uoient auec les Eſpagnols & autres Ennemis de l'Eſtat, & que
pour ce ſujet on auoit enleué le Roy hors de Paris pour le met-
tre en plus grande ſeureté. Impoſture manifeſte qui ſe ruyne
d'elle-meſme, & eſt condamnée par l'Hiſtoire de France qui a
ſi dignement eſcrit de l'integrité inuiolable de cet Auguſte Se-
nat, que cela ferme la bouche à ſes Ennemis meſmes & con-
uainque les médiſans d'impoſture.
Il eſt bien plus à craindre de confier les grandes affaires d'vn
puiſſant Eſtat à vn Eſtranger ignorant aux maximes, aux Loix,
aux Couſtumes & aux mœurs des peuples naturelſ: car outre
la hayne qu'il s'acquiert il doit eſtre touſiours ſuſpect, non ſans
raiſon, qu'en gouuernant les affaires plus importantes, & co-
gnoiſſant les forces ou la foibleſſe & les mãquemens de l'Eſtat,
il ne les faſſe cognoiſtre aux princes deſquels il eſtoit vaſſal,
qui eſtans ou deuenans Ennemys en tirent profit & prennent
Secondement, la pluſpart de tels Miniſtres eſtrangers eſtans
ainſi éleuez dans le gouuernement d'vn Eſtat, ne penſent qu'à
eſtablir leur fortune, on à s'enrichir d'or & de biens, afin que s'il
arriue quelque diſgrace, mécontententement, ou changement,
ils ayent moyen de ſe retirer & mettre a couuert, ce qui va à la
ruyne d'vn Royaume & de ſon peuple.
En troiſſieſme lieu, tels Eſtrangers ainſi éleuez & protegez
deuiennent ambitieux, fuperbes & inſolens, ce qui cauſe bien
ſouuent de grands troubles, procedans de la ialouſie que les
Princes, les Grands & les Peuples leur portent, & qui ſe con-
uertiſſent en de grandes guerres ciuiles, comme nous auons
maintefois veu en France.
Finalement la France, les Princes & les grands Corps de
Nobleſſe & de Police, feront croire aux Nations voiſines, ou
qu'ils manquent de courage de ſouffrir vn Miniſtre Eſtranger
auoir la meilleure part en la conduite des affaires, qui enuoye
les Princes du Sang & les grands Capitaines à la guerre au peril
de leur vie, pour diſpoſer ſeul & ſans contredit du Gouuerne-
ment, ou que nous ſommes laſches & ſtupides, eſtimans qu'il
n'y a point d'hommes en France qui ſoient ſuffiſans, capables
& experimentez pour manier les affaires tant de la Paix que de
la Guerre, & que la France ſe voye reduite à cette honte, pour
ne dire malheur, de faire venir vn Eſtranger, pour diſpoſer non
ſeulement des affaires, mais des Finances, & de toute la ſubſtã-
ce du peuple, dont la meilleure partie eſt tournée à ſon profit
particulier ſans eſperance de rien repeter de tout ce qu'il a pris
& enuoyé hors le Royaume, au ſceu & à la cognoiſſance d'vn
chacun ſans oſer s'en plaindre? ô honte! ô laſcheté prodigieu-
ſe! iuſques à ce que l'inſolence a monté iuſques à tel excez, que
le Parlement de Paris pour aller au deuant d'vne reuolte gene-
ralle, s'eſt veu comme obligé d'en prendre cognoiſſance, & de
proceder contre de tels Miniſtres, qui abuſans de la bonté &
trop grande confiance de leurs Majeſtez, ont auec vne mau-
dite pepiniere de Partiſans & voleurs eſpuiſé preſque toute la
ſubſtance du pauure peuple, & l'euſſent priué de la vie meſme
ſi on ne leur euſt tendu la main pour les ſoulager. Et afin de fi-
nir comme i'ay commencé, il faut remarquer qu'il y a certaines
C'eſt ce que fit Auguſte apres les guerres Ciuiles, tenant
pres de ſoy Agrippe & Mecenas, à qui il faiſoit part de ſes af-
faires plus particulieres concernant ſa perſonne ou ſon Eſtat:
en deliberoit auec eux, & quelquefois auec d'autres, & neant-
moins auec cette prudence & circonſpection, qu'au meſme
tomps non ſeulement il conſeruoit le luſtre du Senat, mais meſ-
me il adiouſtoit à ſa ſplendeur, les deſchargeans de ceux que
le deſordre des guerres ciuiles y auoit jetté contre l'honneur de
ce grand Corps.
Que ſi cela s'obſeruoit en France le Roy en ſeroit beaucoup
mieux ſeruy, l'Eſtat mieux policé & conſerué, la Iuſtice main-
tenuë en ſon integrité, le peuple deſchargé & ſoulagé, & le
Royaume puiſſant pours s'oppoſer à toutes entrepriſes enne-
mies & eſtrangeres, au lieu qu'il ſe void à preſent à la veille
d'en eſtre la proye, ſi le Parlement par ſa preuoyance iudi-
cieuſe ny apporte les remedes, que toute la France eſpere
de luy.
Qui voudroit s'arreſter à lire l'Hiſtoire de France & celle
de nos voiſins, ſçauroit que le trop grand pouuoir queles Sou-
uerains ont donné a leurs Miniſtres particuliers à cauſe des
grandes guerres & grandes ruynes & dommages en leurs Eſtats,
& puis qu'il eſt icy queſtion d'vn Cardinal Miniſtre tel qu'eſt Iu-
les Mazarin.
Sous le regne du Roy Louys onzieſme eſtoit le Cardi-
nal Balue & qui de couſturier auoit eſté faict Threſorier
par
Le Cardinal du Prat, pour ſemblables menées du temps du Roy
François I. décheut auſſi de faueur & courut pareille fortune, n'ayãt
eſté relaſché de priſon que ſur la crainte que le Roy auoit, que le Pa-
pe s'offençaſt; il y mourut d'vne retention d'vrine, de laquelle il
fit croire à tous ſes Medecins qu'il eſtoit malade beuuant ſon vrine,
ſans que perſonne en peuſt rien decouurir.
Le Cardinal d'Amboiſe eſtoit d'vne extraction treſ-illuſtre &
d'vn genereux courage; Et neantmoins és negotiations d'Italie &
particulierement de Rome, ſa qualité & ſes intereſts, luy firent
faire de grandes fautes, & tres preiudiciables aux affaires du Roy
Louys XI ſon bon Maiſtre.
En Angleterre, s'il y eut iamais homme gratifié par ſon Maiſtre,
& comble de biens & d'honneurs, ce fut le Cardinal d'York: Il
eſtoit de fort vile & baſſe extraction, & n'auoit aucun merite, ſinon
qu'il eſtoit broüillon & remüãt Le Roy d'Angleterre Henry VIII.
du nom (qui s'eſt autant trauerſé ſoy meſme) qu'aucun autre Prince
creut que c'eſtoit vn homme tel qu'il luy falloit pour la conduite de
ſes plus ſecrettes & importantes affaires, Il auoit eſté introduit à ſa
Cour par l'Eueſque de Vvinceſtre, & eſtoit vn de ſes Aumoſnierſ:
ſe voulant ſeruir de luy en de plus grandes. Il luy donna l'Eueſché
de Lincolne, & en ſuitte l'Eueſché d'York: Il le fit auſſi Chancel-
lier d'Angleterre, & luy fit donner vn Chappeau de Cardinal, &
la Commiſſion de Legat du S Siege au Royaume. Si quelque cho-
ſe venoit à vacquer c'eſtoit pour luy, ou pour les ſienſ: Tous les
Eueſchez, toutes les bonnes & opulentes Abbayeſ: Tous les meil-
leurs benefices, rien ne luy eſchappoit. Le Roy luy faiſoit rendre
autant d'honneur qu'à ſa propre perſonne. Il le faiſoit ſeoit à ſa ta-
ble, il vouloit que ſes armes fuſſent en meſme lieu que les ſienneſ:
bref il le traitoit comme ſon Compagnon. Tout ce bon ou pluſtoſt
Nous auons veu cela en la perſonne de Iules Mâzarin, depuis
qu'il a eſté appellé en France, par le feu Cardinal de Richelieu,
extraict de vil & bas lieu. Lequel par la bonté de la Reyne Regen-
te, dont il a ſi fort abuſé, ne s'eſt pas ſi toſt veu eleué à la dignité
de Miniſtre d'Eſtat, qu'il a voulu diſpoſer abſolument: Non ſeu-
lement des plus grandes affaires, mais encores de celle de la
Guerre, & des Finances, ayant rencontré ce qu'il deſiroit ſçauoir
des hommes accouſtumez à voler & ruïner le peuple, & profiter,
non ſeulement des deniers du Roy, mais de toute la France, ſous
pretexte de faire ſubſiſter la guerre, & entretenir les armées,
pour plus librement aſſouuir leur auarice, auec leſquels il a telle-
ment eſpuiſé toute la ſubſtance des peuples que l'on ne void parles
Villes, & les Prouinces que miſere, deſolation, & ruyne, plus
grandes que ſi la guerre euſt eſté allumée au milieu, & aux quatres
coins du Royaume.
Mais ſon ambition a bien paſſé plus auant: car ne ſe contentant
point du gouuernement abſolu de tout l'Eſtat; d'eſtre logé prés le
Palais Royal, afin que la meſme Garde de ſa Majeſté fut celle de
ſon Palais, & d'auoir vne porte au derriere du Iardin, pour paſſer à
toutes heureſ; & à couuert de ſa maiſon en celle du Roy, il voulut
eſtre logé dans le meſme Palais Royal, pretextant cette ſienne am-
bition exceſſiue, de la charge qu'il ſe fit donner par la Reyne de
Surintendant Gouuerneur de la perſõne du Roy, pour auoir moyen
de diſpofer abſolument des volontez de leurs Maieſtez, comme il
fait: Et qui conſerre, & oſte toutes les charges de la guerre, & de
l'Eſtat, ainſi qu'il luy plaiſt, pour y ſubſtituer des Italiens, & des
perſonnes qui caballent auec luy: & pour ce qui concerne les di-
gnitez, & les benefices Eccleſiaſtiques de la France, il les diſtri-
buë à ſes confidens, & retient les meilleurs, & les plus riches
Abbayes pour luy, obligeant ceux qui les poſſedent par merite
de s'en demettre, afin de ne reſſentir les effets ſe ſa diſgrace, &
de la vengeance ordinaire d'vn cœur ambitieux. Il fait le meſme
des Officiers des Maiſons du Roy, & de la Reine, qu'il change,
L'Eſpagne nous fournot d'vn autre exemple de Iules Mazarin,
D. Pere François de Ximenés de Ciſneros, perſonne de medio-
cre maiſon: encores qu'aucuns eſcriuent qu'il eſtoit Gentilhom-
me. Il ſe rendit Religieux de l'Obſeruance de S. François, & en
tel eſtat il fut recogneu pour habile homme, par le Cardinal Men-
doce Archeueſque de Tolede, lequel eſtant malade le choiſit,
pour luy ſucceder en ſon Archeueſché, eſlection qui fut approu-
uée par les Rois Dom Ferdinand & Iſabelle. Il eſtoit fils de Tor-
delaguna, nommé Alphonſe Ximenés, apres ſes eſtudes il fit
paroiſtre l'excellence de ſon eſprit, & comme Confeſſeur de la
Reine, il demeura à la Cour, où il entra en faueur & credit par
deſſus le reſte des Courtiſans.
Apres la mort de la Reyne D. Iſabelle, il entra ſeruice du
Roy D. Ferdinand ſon mary, qui luy obtint du Pape lules II. vn
chapeau de Cardinal, & eſtant monté aux grandes dignitez,
tant de l'Egliſe que de l'Eſtat, il monſtra par ſes deſportemens
plus d'ambition que de prudence & de retenuë: car durant le bas
age de Dom Charles fils aiſné de Dom Philippe premier du
nom Roy d'Eſpagne, & de Dom leanne le Cardinal Ximenés
en l'abſence du Prince CharIes qui eſtoit en Flandres, ayant tou-
te l'adminiſtration & Souueraineté d'Eſpgne, il ſe rendit inſup-
portable enuers les grands & les petitſ: De ſorte que cõme ab-
ſolu il ſe faiſoit craindre & obeïr, n'y aynt aucun qui oſaſt con-
treuenir à ce qu'il vouloit, iuſques à ce que les Eſpgnols laſſez
de ſon adminiſtration voulans auoir leur Roy, crioyent haute-
ment qu'ils ſe reuolteroient. Ce que conſiderant le ſieur de Che-
ves Gouuerneur du Roy, & le peril de voir l'Eſpagne pleine de
reuoltes & de ſeditions contre ce Cardinal, il conſeilla au ieune
Roy Charles d'enuoyer en Eſpagne vn autre Gouuerneur: & par
ſon Conſeil y fut enuoyé le ſieur de Laxaus, auquel fut donné
le troiſieſme lieu au Gouuernement de l'Eſtat, auec les Cardi-
naux Ximenés & Adrian, il fut receu auec grand contentement
& commun conſentement de tout le peuple. Ce qui ne fut pas
En ce meſme temps l'Empereur Maximilian arriua à Bruxel-
Ies, ſous pretexte de conferer auec le Roy Charles ſur ſon voyage
en Eſpagne, ce qui mit le Cardinal Ximenés en grande peine,
craignant que cette Conference reüſſiſte à ſon prejudice, & que ce
fut pour enuoyer l'Empereur Maximilian commander en Eſpa-
gne en l'abſence du Roy. Mais les Eſpagnols voyans que cette
entreueuë duroit trop long-temps à leur gré, & que le Roy ne
parloit point de venir en Eſpagne, firent de grandes plaintes, di-
ſans que l'Eſpagne eſtoit entre les mains des Flamans, & que
tous les grands treſors que le Cardinal Ximenés auoit accumu-
Iez eſtoient pour aſſouuir ſon auarice. Et ſur cela ils firent plu-
ſieurs aſſemblées pour y remedier; & par Decret public, ils or-
donnerent, que le Roy eſtant en Eſpagne n'auroit puiſſance de
conferer aucun Office; Charge ni Eſtat du Royaume aux Eſtran-
gers. Tout cela fut ſuiuy de pluſieurs libelles diffamatoires &
iniurieux contre ledit Cardinal.
En outre tout les Grands d'Eſpagne ſe reſolurent de ne plus
luy obeïr, lequel (comme Viceroy en l'abſence du Roy) fut ſi te-
meraire que de ſe vouloir vanger d'eux, & les contraindre de luy
obeïr, !eur diſant; Qu'il auoit le pouuoir de faire executer les vo-
lontez du Roy contre qui que ce ſoir, Et voicy ce qu'il fit; C'eſt
qu'apprehendant que l'Infant Dom Ferdinand, par le conſeil de
ceux quo le gouuernoient, allaſt en Arragon, pour s'en faire Roy;
ce qui luy eut reüſſi à cauſe de l'extreme affection que les Arrago-
nois luy portoient. Pour preuenir ce coup, le Cardinal fit chaſ-
ſer tous ceux en qui ce Prince ſe confioit dauantage, & changea
tous les Officiers de ſa Maiſon, & principalement Dom Pedro
Nugnez de Guziman ſon Gouuerneur, & Dom Aluaro Oſorio
Eueſque d'Aſtorega ſon Precepteur, ſõ premier & plus particulier
Conſeiller
Enfin le Roy Charles eſtant arriué en Eſpagne accompagné
de la Reine Leonor de Portugal ſa ſœur, le Cardinal Ximenés
l'alla trouuer en chemin, & luy conſeilla d'aller tout droit en
Caſtille. Ce qui ne plut point aux Flamans, qui retenans affez
long-temps ſa Majeſté, deſiroient qu'il allaſt premierement en
Arragon auant que d'entrer en Caſtille. Le Cardinal perſiſtant
en ſa premiere reſolution d'eſloigner l'Infant, eſcriuit au Roy,
luy remonſtrant le danger qu'il y auoit de ſuiure ce Conſeil à al-
ler en Arragon: & qu'il euſt à enuoyer au pluſtoſt l'Infant ſon
frere à l'Empereur Maximilian, leur ayeul en Allemagne. Vou-
lant auſſi éloigner d'aupres du Roy tous ceux qu'il voyoit nuire
à ſes deſſeins violens, & l'empeſcher de gouuerner ſur les per-
ſonnes du Roy & ſon Eſtat. C'eſt l'eutraict de l'Hiſtoire de ce
Cardinal, choiſi pour faire connoiſtre la ſympathie qu'il y a en-
tre le Cardinal Ximenés & Iules Mazarin: lequel venu de pa-
rens ignobles & fut par le defunct Cardinal de Richelieu, tiré d'I-
talie en France, & le preſenta au defunct Roy Louïs XIII. d'heu-
reuſe memoire, comme perſonne capable de le ſeruir, pour eſtre
fait aux intrigues de Rome & de toute l'Italie, non polnt à la po-
litique de laquelle il eſt ignorant: cét eſprit eſtant en France, ſe
nourrit & ſe fit aux maximes ambitieuſes du Cardinal de Riche-
lieu, & ſe conforma à ſes artificeſ: & comme il luy ſucceda au ma-
niement des affaires, il fit le meſme à ſes premiers deſſeins.
Apres la mort du defunct Roy (luy ayant eſté aupara-
uant recommendé par ſon ſucceſſeur) la Reine ſe voyant Regen-
te, ſe laiſſa perſuader d'auoir vn homme ſuffiſant pour la ſoulager
en la conduite d'vn grand Eſtat tel qu'eſt celuy de France: ſa
bonté luy fit oublier les mauuais traittemens que le Cardinal de
Richelieu luy auoit faits, & que IuleſMazarin eſtoit vn inſtru-
ment de ſes maximes qu'il laiſſoit à la France, & que diſciple d'vn
Les perſonnes ainſi choiſies & appellées aux charges eminen-
tes à la Cour des Rois, & venans de bas lieu, deuroient principa-
lement prendre garde de plus prés à toutes ces choſes. Que ſi la
volonté des Maiſtres qu'ils ſeruent en la dignité de leur charge,
les excite d'en vſer auttement; ce ſeroit prudence à eux demon-
ſtrer qu'ils n'y font volontairement portez. En cela le Cardinal
Ximenés au commencement de ſa fortune ſe porta treſ-bien: car
il fit voir ſa modeſtie au refus qu'il fit d'accepter la dignité d'Ar-
cheueſque de Tolede; iugeant que s'il le ſaiſoit, il attireroit ſur
luy l'enuie de tous les Grands du Royaume, ſous le faix de la-
quelle il ſuccomberoit: de façon que pour s'aſſeurer de ce coſté-là,
la Reine D. Ieanne fut contrainte de le faire prier par tous les
Grande de ſa Cour d'accepter cette charge; ce qu'il fit enfin apres
pluſieurs refuſ: mais il demeura quelque temps ſans vouloir croi-
ſtre ni ſon train ni ſa deſpenſe quelque remonſtrance qu'on luy
fiſt que cette dignité requeroit qu'il changeaſt de façon de viure,
& fallut que l'authorité & le commandement expres du Pape y
interuint, auquel en fin il obeït, & ainſi il éuita l'enuie d'vne gran-
de dignité deſirée de tous les Grands d'Eſpagne, & du faſt d'vne
deſpenſe qui égaloit, voire ſurmontoit celle des Princes.
Le Cardinal Mazarin ne s'eſt point miré ſur cette forme de
proceder au chemin des grandeurs. Le Cardinal Ximenéſ; au
contraire non ſeulement il obeït aux volontez de la Reine, qui le
La deuxieſme choſe en quoy il imita le Cardinal Ximenés
fut en la conduite des affaires, & au gouuernement dont il vou-
loit eſtre Souuerain. Il a fait le meſmne; car ſans ſe ſeruir d'autres
conſeils que des ſiens, il a voulu nourir la guerre, que ſon deuan-
cier auoit allumée dans la Chreſtienté, & en faire d'autres nou-
uelles & irraiſonnables, ſi les Princes du Sang ne s'y fuſſent op-
poſez, tant pour s'agrandir en Italie, que pour s'enrichir de tant
de millions, que luy & ſes Partiſans ont tiré en France: afin de
diſpoſer luy ſeul des affaires il enuoya Meſſieurs les Duc d'Or-
leans & le Prince de Condé à la guerre hors de France, à deſſein
de ne mettre des obſtacles aux conſeils qu'il acueilloit, pour ac-
croiſtre ſon credit & ſon authorité partout.
Le Cardinal Ximenés changea la Maiſon de l'Infant Dom
Ferdinand, pour y mettre des Officiers à ſa deuotion, & éloigner
ſa perſonne, afin de gouuerner & ordonner des affaires à ſa vo-
lonté, ſans empeſchement: C'eſt ce qu'a fait le Cardinal Maza-
rin, enuoyant Monſieur le Duc d'Orleans à la guerre de Flandres,
& Monſieur le Duc d'Anguyen, à preſent Prince de Condé, en
Allemagne, & le Comte d'Harcour en Catalogne, & tout ce
qu'il y auoit de genereux courages en Italie & ailleurs, afin que
nul d'eux ne trauerſaſt ſes deſſeins, n'ayant pour confident que
des Pariſans, ſangſuës du peuple, afin que par leurs partis il euſt
moyen de tirer le dernier teſton de France: Il fit ce qu'il puſt
pour oſter d'aupres les Princes leurs plus chers Conſeillers &
ruiteurs, & iuſques aux Princeſſes, deſquelles il fit éloigner
Le Cardinal Ximenés eſtoit loüable en cecy. C'eſt qu'apres
la mort de la Reine D. Iſabel, cette Princeſſe l'ayant recommandé
au Roy Dom Ferdinand, il luy rendit de grands ſeruices en la
pacification des troubles ſuſcités par les Grands de Caſtille, qui
par ſes aduis & conſeils, furent appaiſez, & la guerre concluë con-
tre les Maures d'Afrique. Le Cardinal Mazarin au contraire
apres la mort du defunct Roy Louïs XIII d'heureuſe memoire,
la Reine Regente luy ayant mis en main la diſpoſition des plus
importantes affaires, au lieu de luy donner des conſeils de paix &
de ſeconder, ou pluſtoſt fortifier les bons deſſeins que ſa Maieſté
auoit de faire iouyr la Chreſtienté d'vn ſolide repos, il ne luy inſpi-
roit que des conſeils de guerre, ſongeant plus à profiter des trou-
bles qu'à faire la paix, qui luy oſteroit les pretextes & les moyeus
de faire de grands amas d'or & d'argent, & n'a tenu qu'à luy ſeul
que la paix generale n'ait eſté concluë fort auantageuſement pour
la France, ſe ſouciant peu du repos de la Chreſtienté, pourueu qu'il
puiſſe touſiours trouuer dequoy aſſouuir ſon auarice inſatiable,
aimant mieux voir les Chreſtiens ſe ruiner dans leurs guerres ci-
uiles, que de penſer aux moyens de liberer l'Empire Chreſtien des
troubles que les Turcs y nouriſſent, pour profiter de nos querelles
& diſſentions particuliers.
Le Cardinal Ximenés prit ombrage de l'entreueuë de l'Em-
pereur Maximilian auec le Roy Charles à Bruxelleſ: mais ſon
voyage en Eſpagne, rompit ce coup. Ce qui fut cauſe que les Eſpa-
gnols voyans que le Roy ne parloit plus de venir en Eſpagne,
s'eſleuerent & crierent hautement, que ce Cardinal ne deſiroit
pas ſa venuë, & que l'Eſpagne durant ſon abſence eſtoit entre les
mains des Flamans. C'eſt ce que nous auons veu en France depuis
ſix mois que le Cardinal Mazarin a enleué par deux fois le Roy
de ſa bonne ville de Paris, pour le gouuerner comme il voudroit, &
mettre la France entre les mains des Italiens, dont il rempliſſoit
les Charges & les Offices non ſeulement de la Maiſon du Roy &
de la Reine; mais auſſi ceux des armées, ayant quantité de Regi-
mens d'Eſtrangers qu'il y entretenoit, & d'autres gens de guerre,
dont il vouloit remplir les gardes de ſa Maieſté, & en éloigner les
François.
Le peuple impatient lors qu'on n'execute ſi promptement ce qu'il de-
ſire, s'eſt ſouuent plaint des longueurs que le Parlement apportoit aux
remedes neceſſaires du temps, ſans conſiderer que le premier Mobile ne
ſe conduit pas par les mouuemens des Cercles inferieurs, mais ceux-là
par le ſien. Ainſi le Parlement, qui eſt le premier Mobile de la pru-
dence, ne ſe laiſſe point emporter par les agitations d'vn peuple incon-
ſtant, qui doit receuoir la forme de ſa conduite de ce premier Moteur, a
ſceu ſagement peſer & digerer toutes les difficultez qui ſe preſentoient:
en telles rencontres d'affaires, où il y alloit de faire valoir l'authorité du
Roy, ſans y laiſſer choſe qui y puſt donner eſchec, & maintenir le peuple
dans la retenuë, ſans luy donner ſuiet de prendre la ſedition pour le plus
mauuais conſeil; & ainſi ç'a eſté vne grande prudence au Parlement
d'auoir arreſté ces torrens grondans par la digue d'vne retenuë loüable,
ſans pour cela n'auoir rien oublié de ce qui concernoit la ſeureté de la
ville de Paris, & de preuenir vn plus grand mal, qui euſt peu arriuer par
les gens de guerre qui la tenoient comme inueſtie de tous coſtez, atten-
dant qu'il pluſt à Dieu toucher les cœurs de leurs Maieſtez & les porter à
redonner le repos à leur bonne ville de Paris, ce qu'il a fait; & à ce ſuiet
s'eſt ſeruy du meſme Parlement, pour par ſes humbles remonſtrances
amener la Reine à conſentir vne Conference indiquée au Bourg de
Ruel, pour y choiſir les moyens plus raiſonnables d'appaiſer ces appa-
rances d'vn plus grand trouble, à quoy les Deputez trauaillent auec les
Princes du Sang & les Miniſtres.